Formation professionnelle dans la recherche et la pratique
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Développement des compétences informelles après la fin de la scolarité obligatoire

La formation professionnelle duale favorise la motivation à la performance

Au terme de la scolarité obligatoire, les jeunes prennent des chemins différents, professionnellement et scolairement. Deux tiers entament une formation professionnelle initiale en entreprise, moins d’un tiers fréquente une école de formation générale, et une minorité de 7 % fait le choix d’une formation professionnelle initiale en école. Les conclusions d’une étude longitudinale démontrent que, selon le type de formation suivi, les jeunes jusqu’à l’âge de 21 ans développent différemment les compétences informelles que sont la disposition à l’effort, la persévérance et la volition. D’après cette étude, cela pourrait s’expliquer par les différences entre les différents environnements pédagogiques et de socialisation. La formation initiale en entreprise offre ainsi les conditions favorisant au maximum le développement desdites compétences, qui sont d’une grande pertinence sur le marché du travail. La formation professionnelle en entreprise joue donc un rôle crucial dans le renforcement de la motivation à la performance des adolescent-e-s.


La capacité professionnelle comprenant aussi l’action autonome, axée sur des objectifs et adaptée au contexte, l’acquisition des compétences informelles requises pour cela revêt une grande importance.

On appelle « compétences informelles » les aptitudes que l’on ne peut rattacher à aucune discipline et qui ne font pas l’objet d’évaluations directes au cours de la formation. Elles comprennent par exemple la disposition à l’effort, la persévérance, l’esprit d’équipe, la prise de perspective, ou encore l’auto-efficacité. Des recherches ont démontré l’importance de telles compétences informelles dans la réussite scolaire et professionnelle (p. ex. Lleras 2008; Heckman et Kautz 2012). C’est la raison pour laquelle nous avons mené une étude cherchant à établir comment les compétences informelles évoluent entre la fin de l’école obligatoire et le début de l’âge adulte (Basler et Kriesi 2022). Ce faisant, nous avons examiné de façon plus détaillée les trois compétences que sont la disposition à l’effort, la persévérance et la volition. Lorsqu’ils/elles sont disposé-e-s à l’effort, les adolescent-e-s font preuve d’engagement et s’efforcent de venir à bout des tâches qui leur sont assignées. Une personne témoignera de persévérance si elle termine ce qu’elle a commencé, en dépit des éventuelles difficultés rencontrées. La volition fait quant à elle référence à l’acte de volonté, à la manifestation de la volonté d’atteindre les objectifs fixés et d’accomplir les tâches requises (Grob et Maag Merki 2001). Disposition à l’effort, persévérance et volition sont ainsi des conditions motivationnelles essentielles pour que les adolescent-e-s et jeunes adultes soient capables de se montrer actifs et actives et de s’organiser de manière autonome, durant leur formation comme au cours de leur vie professionnelle (Klieme et Hartig 2007; Erpenbeck, Rosenstiel et al. 2017). Devant cette toile de fond, une question a particulièrement suscité notre intérêt : nous avons voulu savoir si des différences apparaissaient dans le développement de ces compétences entre 15 et 21 ans selon que les jeunes, après la fin de la scolarité obligatoire, suivaient une formation professionnelle initiale en entreprise, une formation professionnelle initiale en école, ou fréquentaient une école de formation générale.

Formations en entreprise et en école : des environnements de socialisation différents

Le contexte social dans lequel évoluent les adolescent-e-s influe sur le développement de leurs compétences individuelles. En sociologie, on parle ici de socialisation. Les jeunes doivent se confronter aux exigences qui leur sont posées, au cours de leur formation puis dans la vie professionnelle, concernant les actions et rôles qui leur incombent. Ce faisant, ils/elles acquièrent des compétences liées au rôle en question (Heinz 1995).

Jusqu’à la fin de l’école obligatoire, l’ensemble des élèves se trouvent dans des environnements de socialisation similaires, forgés par le quotidien de l’école secondaire. Des connaissances et des aptitudes sont transmises au jour le jour dans une école qui s’articule autour de différentes matières. L’école transmet au premier chef des connaissances formelles et abstraites, sans lien avec la vie quotidienne des élèves, et évaluées sous formes d’examens spécifiques à chaque discipline (Ulich 2001; Dehnbostel et Lindemann 2007). Cet environnement de socialisation scolaire reste en place pour les jeunes qui passent dans une formation générale après la scolarité obligatoire. En revanche, celles et ceux qui entament une formation duale en entreprise se retrouvent dans un environnement de socialisation très différent.

Ces formations mettent l’accent sur l’acquisition de connaissances et de compétences spécifiques à un métier. De plus, les formations professionnelles duales se caractérisent par l’intégration des apprenant-e-s dans le processus de production, où ils/elles développent en outre leur compétence opérationnelle professionnelle en appliquant leurs connaissances techniques dans le contexte du travail (Lempert 2006; Halpern 2013). L’évaluation des acquis ne se fait pas seulement à travers des examens par discipline, elle intègre l’ensemble du processus de travail. La capacité professionnelle comprenant aussi l’action autonome, axée sur des objectifs et adaptée au contexte, l’acquisition des compétences informelles requises pour cela revêt une grande importance (Lindemann 2015). Les formations professionnelles initiales en école combinent des éléments des contextes de formation en entreprise et en école, occupant ainsi en quelque sorte une position médiane.

Les formations professionnelles en entreprise sont celles qui favorisent le plus la motivation à la performance

Pour analyser l’évolution des compétences informelles qui nous intéressent ici chez les jeunes en formation professionnelle initiale en entreprise et en école, ainsi qu’en formation générale, nous nous sommes appuyées sur les données de COCON, l’enquête suisse sur les enfants et les jeunes. Les quelque 1200 jeunes de la cohorte d’âge moyen interrogé-e-s étaient originaires de Suisse alémanique et romande. Ils/Elles ont été interrogé-e-s dans le cadre d’entretiens individuels pour la première fois en 2006, à l’âge de 15 ans, avant la fin de leur scolarité obligatoire. Les entretiens consécutifs se sont déroulés en 2007, 2009 et 2012, ces mêmes jeunes étant alors âgé-e-s de 16, 18 et 21 ans.

Les trois compétences informelles – disposition à l’effort, persévérance et volition – ont été évaluées à 15, 18 et 21 ans. Les questions étaient issues des échelles de Moser (1997, disposition à l’effort) ainsi que de Grob et Merki (2001, persévérance et volition). Nous avons analysé l’évolution de ces trois compétences informelles entre 15 et 21 ans, ainsi que leurs déterminants, à l’aide de modèles linéaires multiniveaux avec des mesures répétées. Outre l’influence du type de formation (formation générale, formation professionnelle en entreprise, formation professionnelle en école), nous avons également pris en compte le niveau de formation des parents, le sexe et les capacités cognitives de base.

Figure 1 – 3: évolution de la disposition à l’effort, de la persévérance et de la volition selon le type de formation. Source : données COCON, calculs propres. Le graphique représente les effets marginaux (predictive margins) de modèles de courbes de croissance multivariés, qui maintiennent plusieurs variables à un niveau constant : la formation des parents, le sexe et les capacités cognitives de base (voir aussi Basler & Kriesi, 2022:303-304).

Les figures 1 à 3 illustrent l’évolution moyenne de la disposition à l’effort, la persévérance et la volition chez les jeunes en fonction de l’un des trois types de formation suivi après l’école obligatoire – formation professionnelle initiale en entreprise, formation professionnelle initiale en école ou école de formation générale. À 15 ans, les valeurs des trois groupes sont encore rapprochées et les différences ne sont pas significatives sur le plan statistique. Par conséquent, les adolescent-e-s qui entament ensuite diverses formations au degré secondaire II ne se distinguent pas encore à la fin de l’école obligatoire en termes de disposition à l’effort, de persévérance et de volition moyennes. Cela change après le passage dans le degré secondaire II. La différence d’évolution de la disposition à l’effort est celle qui est la plus marquée entre les groupes. Chez les apprenant-e-s en formation en entreprise, la disposition à l’effort connaît une augmentation substantielle après le début de la formation, alors qu’elle stagne chez les élèves de formation générale et ne recommence à monter qu’entre 18 et 21 ans – donc après le passage dans une formation au degré tertiaire ou l’arrivée sur le marché du travail. Les élèves en formation professionnelle en école témoignent également d’une plus grande disposition à l’effort, quoique le développement soit un peu moins marqué que chez leurs homologues en entreprise.

De même, les jeunes dans des contextes en entreprise développent plus rapidement la persévérance et la volition que les deux autres groupes. La volition connaît même un recul après le passage en école de formation générale et stagne à un niveau assez bas jusqu’à l’âge de 21 ans. À cet égard, la formation professionnelle en école occupe ici encore une position médiane. Des analyses qui n’ont pas été représentées graphiquement montrent en outre que l’arrivée sur le marché du travail ou le passage en formation au degré tertiaire s’accompagnent au sein des trois groupes d’une nouvelle augmentation de la disposition à l’effort et de la persévérance.

Conclusions

Tant que les élèves obtiennent des notes satisfaisantes, peu de choses les incitent à déployer des efforts particuliers dans la mesure où ceux-ci ne seraient associés à aucun résultat tangible, hormis une note un peu meilleure.

On peut définir la disposition à l’effort, la persévérance et la volition comme la disposition émotionnelle et volontaire à exécuter des tâches liées à sa formation ou à son travail, et à résoudre des problèmes (Klieme et Hartig 2007). Les jeunes développent ces compétences en interagissant avec leur environnement social et en se confrontant aux tâches qui leur sont assignées. Marqué par une forte différenciation, le système scolaire suisse amène les jeunes à évoluer dans des environnements de socialisation très différents après l’entrée dans le degré secondaire II. Nos résultats suggèrent que les formations professionnelles en entreprise offrent des environnements pédagogiques et de socialisation qui favorisent la motivation à la performance des jeunes, qui se décline sous forme de disposition à l’effort, de persévérance et de volition. Il semble que cela puisse être lié au fait que les adolescent-e-s sont intégré-e-s au processus de production quotidien de l’entreprise et qu’ils/elles s’approprient progressivement leur rôle de spécialistes, empreint d’une identité professionnelle propre. Les contenus et objectifs pédagogiques des écoles secondaires supérieures sont quant à eux beaucoup plus fortement détachés du quotidien extrascolaire. Tant que les élèves obtiennent des notes satisfaisantes, peu de choses les incitent à déployer des efforts particuliers dans la mesure où ceux-ci ne seraient associés à aucun résultat tangible, hormis une note un peu meilleure. Par rapport au vécu dans des environnements d’apprentissage en entreprise, cela entrave la motivation à la performance et a pour conséquence que le développement de la disposition à l’effort, la persévérance et la volition survienne avec un temps de retard chez les élèves d’une école de formation générale. Les différences manifestes observées dans le développement de compétences informelles selon le type de formation mettent aussi en lumière le rôle important joué par la formation professionnelle en entreprise pour garder les jeunes fatigué-e-s de l’école dans le système scolaire et les mener vers une formation postobligatoire. Les formations professionnelles qui s’accomplissent en école à plein temps peuvent moins bien remplir cette fonction dans la mesure où elles favorisent moins la motivation à la performance que la formation en mode dual.

Références bibliographiques

  • Basler, A. und I. Kriesi (2022). « Die Veränderung informeller Kompetenzen zwischen dem Ende der obligatorischen Schulzeit und dem frühen Erwachsenenalter. » Swiss Journal of Sociology 48(2): 285-315.
  • Dehnbostel, P. und H.-J. Lindemann (2007). Kompetenzen und Bildungsstandards in der schulischen und betrieblichen Berufsbildung. Lernen im Prozess der Arbeit in Schule und Betrieb. P. Dehnbostel, H.-J. Lindemann and C. Ludwig. Münster, Waxmann Verlag.
  • Erpenbeck, J., L. Rosenstiel, et al. (2017). Handbuch Kompetenzmessung: Erkennen, verstehen und bewerten von Kompetenzen in der betrieblichen, pädagogischen und psychologischen Praxis, Schäffer-Poeschel.
  • Grob, U. und K. Maag Merki (2001). Überfachliche Kompetenzen. Theoretische Grundlegung und empirische Erprobung eines Indikatorensystems. Bern, Peter Lang.
  • Halpern, R. (2013). The means to grow up: Reinventing apprenticeship as a developmental support in adolescence, Routledge.
  • Heckman, J. J. und T. Kautz (2012). « Hard evidence on soft skills. » Labour Economics 19(4): 451-464.
  • Heinz, W. R. (1995). Arbeit, Beruf und Lebenslauf. Eine Einführung in die berufliche Sozialisation. Weinheim und Münschen, Juventa.
  • Klieme, E. und J. Hartig (2007). Kompetenzkonzepte in den Sozialwissenschaften und im erziehungswissenschaftlichen Diskurs. Kompetenzdiagnostik. M. Prenzel, I. Gogolin and H.-H. Krüger. Wiesbaden, VS Verlag für Sozialwissenschaften: 11-29.
  • Lempert, W. (2006). Berufliche Sozialisation und berufliches Lernen. Handbuch der Berufsbildung. R. Arnold. Wiesbaden, Springer: 413-420.
  • Lindemann, H.-J. (2015). Kompetenzorientierung – Berlin, dblernen.
  • Lleras, C. (2008). « Do skills and behaviors in high school matter? The contribution of noncognitive factors in explaining differences in educational attainment and earnings. » Social science research 37(3): 888-902.
  • Moser, U. (1997). Messinstrumente zu Unterricht und Leistungsbereitschaft in TIMSS. Projektdokumentation. Bern, Amt für Bildungsforschung.
  • Ulich, K. (2001). Einführung in die Sozialpsychologie der Schule. Weinheim, Beltz.
Citation

Kriesi, I., & Basler, A. (2022). La formation professionnelle duale favorise la motivation à la performance. Transfer. Formation professionnelle dans la recherche et la pratique 7(1).

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